Les hommes managers assumeraient-ils désormais leur fonction de père ? "Trop longtemps, on ne s'intéressait qu'aux femmes et à leurs problèmes de carrière et de garde d'enfants, comme si, pour les hommes, il était évident qu'ils ne s'en occupaient pas", note Pierre Fredet, responsable de programme à Coca-Cola France. Ce manager de 38 ans, père de quatre enfants âgés de 10 mois à 12 ans, fait partie des 400 hommes interrogés par le cabinet de conseil Equilibres, avec la collaboration de Bénédicte Bertin-Mourot, sociologue au CNRS. L'étude qui vient de paraître - "Les Pères managers en quête d'équilibre : portrait d'une génération qui entend réconcilier travail et paternité" - donne la parole à des "cadres à haut potentiel" de 30 à 40 ans. "Il faut que ce soit les dirigeants qui montrent l'exemple. Or, il y a une dizaine d'années, jamais je n'aurais pu interroger des pères à ce sujet ; la rupture était nette entre leur vie familiale et leur vie professionnelle, contrairement aux femmes, souligne Mme Bertin-Mourot. Aujourd'hui, c'est différent, ces hommes étaient heureux de nous accorder plus d'une heure d'entretien."
M. Fredet décrit la vie familiale comme un "jonglage perpétuel avec celle de manager". Comme sa femme, il travaille plus de cinquante heures par semaine. Père d'un enfant handicapé, il doit parfois s'absenter "deux heures, au moment du déjeuner, pour aller à une réunion d'association". Il déplore cette culture du "présentéisme" qui pousse "à rester jusqu'à ce que le chef parte". Depuis quatre ans, il a choisi un employeur dont 60 % des salariés sont des femmes, et qui offre plus de flexibilité. "C'est cette culture qu'il faut modifier, comme dans les pays nordiques, où il est plutôt mal vu de rester tard", estime la sociologue. Parmi les solutions citées par les cadres interrogés à l'occasion de cette enquête, l'offre de services tels qu'une crèche d'entreprise arrive en tête. Mais seules 16 % des personnes sondées déclarent que leur patron l'a effectivement mise en place.
Autre constat, le congé paternité, créé en 2002, n'est pris en totalité que par une petite moitié des pères cadres (48 %). 40 % ne le demandent pas du tout. M. Fredet, par exemple, estimait avoir assez de congés disponibles pour ne pas s'absenter davantage. Quant à s'absenter une journée par semaine pour s'occuper de ses enfants, à l'instar de sa femme, il avoue ne pas avoir encore envisagé de "franchir le pas".
Laureen Ortiz
Article paru dans l'édition du Monde 26.02.08.