Réjouissons-nous ! Après le règne des consultants en organisation, voici venir celui des consultants en désorganisation ! Fini le terrorisme des méthodes du style « papier touché, papier classé ». Le désordre peut être vertueux, assurent Eric Abrahamson, professeur à la Business School de l'université Columbia de New York, et David Freedman, journaliste, dans un livre qui se veut sérieux, mais traite le sujet avec beaucoup d'humour, et intitulé Un peu de désordre = beaucoup de profit(s) (Flammarion, 2008, 338 pages, 21 euros).
Car ranger coûte. Mettre une chose à sa place prend du temps, la retrouver aussi. « Les gens ayant un bureau ordonné passent plus de temps (36 % en moyenne) à chercher quelque chose sur leur lieu de travail que ceux qui ont un bureau désordonné », auraient-ils constaté. Car « un bureau en désordre peut être un système extrêmement efficace de hiérarchisation et d'accès aux documents », poursuivent-ils.
Le rangement n'est pas seulement coûteux en temps, mais aussi en argent. Il nécessite d'acheter du matériel, voire de faire appel à des professionnels. « L'ordre et la propreté sont devenus un marché de plusieurs milliards de dollars », notent-ils. Aux maniaques du bureau, les auteurs ajoutent en effet les maniaques domestiques, les adorateurs de jardins tirés au cordeau qui dépensent des milliards, disent-ils, à entretenir des pelouses où aucun brin ne dépasse : « On peut donc réaliser des économies significatives en tolérant un certain niveau de désordre et de désorganisation. »
A l'inverse, le désordre est parfois source de bénéfices. En cherchant un papier sur un bureau (ou une chambre) en désordre, on peut en trouver un autre, qui donnera une idée inattendue. Les exemples abondent, le plus célèbre étant celui de Fleming découvrant la pénicilline grâce au désordre qui régnait dans son laboratoire.
Les évolutions technologiques et industrielles sont propices à cette apologie du désordre. « La production de masse incitait à l'ordre, car elle était proche de la machine », explique M. Abrahamson.
Mais il devient bien moins nécessaire de ranger, quand de puissants moteurs de recherche permettent de retrouver un document en une fraction de seconde. Ni même d'imposer une organisation homogène aux membres d'une équipe puisque chacun peut être joint à toute heure et en tous lieux. Même l'armée serait devenue bien plus désorganisée, note M. Abrahamson (si ce n'est pour défiler).
Plus généralement, il devient contre-productif d'agir de façon organisée, de définir des plans stratégiques à respecter scrupuleusement, dans la mesure où les technologies et les besoins évoluent très rapidement. Mieux vaut donc lancer de multiples nouveaux produits ou services en parallèle comme le fait Google par exemple, pour voir les réactions du marché.
Soucieux néanmoins de ne pas remplacer un terrorisme par un autre, les auteurs admettent que le désordre ne doit pas être absolu, mais trouver son optimum.
Chaque secteur d'activité a le sien. Chaque individu aussi. L'optimum de la collectivité restant une notion à méditer !
Article paru dans l'édition du 15.02.08
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