Le stress au travail peut précipiter une dépression ou provoquer des troubles anxieux chez les jeunes salariés, hommes comme femmes. Et ce risque est doublé chez les salariés ayant des conditions de travail psychologiquement difficiles. Telles sont les conclusions de l'étude publiée par le mensuel britannique Psychological Medicine, dans son numéro d'août.
Jusqu'ici, ce constat n'émanait que d'études cliniques à la méthodologie souvent critiquable. Notamment aux Etats-Unis et en Europe, où la proportion des salariés exposés au stress dans le cadre de leur travail était évaluée entre 30 % et 40 %. Ces travaux péchaient soit par l'emploi d'outils diagnostiques (tests) non standardisés, soit par leur focalisation sur des symptômes psychologiques et non psychiatriques.
Cette dernière étude, menée par Maria Melchior, du Medical Research Council (de Londres) et de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), a donc voulu combler ces lacunes en choisissant une méthodologie plus rigoureuse et en s'intéressant aux dépressions sévères et aux troubles anxieux généralisés.
Sur le plan de la méthode, trois écueils étaient à éviter. Le premier était de confondre les effets du stress au travail avec ceux d'un bas statut hiérarchique. Il ne fallait pas non plus négliger le fait que les salariés anxieux ou dépressifs peuvent avoir tendance à présenter sous un jour péjoratif leurs conditions de travail. Enfin, il fallait faire attention à ne pas imputer au travail des troubles dépressifs ou anxieux préexistant depuis l'enfance.
Les chercheurs ont utilisé les données concernant 891 participants salariés (485 hommes et 406 femmes) à un programme de suivi général de la santé, conduit en Nouvelle-Zélande. Cette population a été l'objet d'évaluations régulières entre l'âge de 3 ans et celui de 32 ans, avec un total de onze bilans complets. Les scientifiques ont ainsi disposé, tant sur le plan psychiatrique que sur celui des conditions de travail, d'une appréciation détaillée. Cela a notamment permis d'éliminer de l'étude les salariés ayant présenté des troubles psychiatriques avant leur entrée dans la vie active.
L'équipe a ensuite effectué une analyse statistique de ces données pour établir les éventuelles corrélations entre une pathologie psychiatrique et les conditions de travail. Pour ces dernières, les auteurs ont pris en compte quatre paramètres : l'intensité des exigences du travail sur le plan psychologique, la marge de décision laissée au salarié, le soutien social dont ce dernier peut bénéficier dans l'entreprise et, enfin, l'importance de la sollicitation physique de l'emploi.
Globalement, comparés aux femmes, les hommes faisaient état de conditions de travail plus exigeantes du point de vue psychologique et physique, et d'un moindre soutien social. Or, travailler dans des conditions psychologiquement éprouvantes est le seul paramètre à être associé, chez les deux sexes, de manière significative à l'existence d'une dépression sévère et-ou à des troubles anxieux généralisés.
Par rapport aux salariés les moins exposés à des conditions de travail difficiles d'un point de vue psychologique, les femmes ayant les emplois les plus durs avaient 83 % de risque supplémentaire de remplir les critères d'une dépression majeure. Pour les hommes, le risque était presque triplé. En ce qui concerne l'anxiété, cette possibilité était multipliée par deux pour les hommes et par près de trois pour les femmes. Et environ la moitié des salariés présentant l'un des deux troubles remplissaient également les critères de l'autre pathologie.
Les résultats de cette étude font apparaître deux faits nouveaux. D'une part, ils attestent d'un lien entre le stress au travail et l'existence d'authentiques désordres psychiatriques. Ils démontrent, d'autre part, qu'il s'agit bien de troubles qui ne préexistaient pas, permettant d'écarter l'hypothèse selon laquelle les personnes atteintes depuis l'enfance se dirigeraient préférentiellement vers des emplois stressants.
"Il apparaît ainsi que le stress au travail précipite la survenue de troubles psychiatriques chez des individus auparavant en bonne santé", concluent les auteurs. Ils précisent que ses effets "pourraient varier en fonctions d'une susceptibilité génétique" du salarié. Au moment où les salariés sont invités à "travailler plus pour gagner plus", cette étude invite à réfléchir sur la nécessaire prévention des possibles dégâts induits par le travail.
Paul Benkimoun - Article paru dans l'édition du 22.08.07 du Monde.
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