Les employeurs se croient à l'abri des poursuites grâce au licenciement transactionnel. Mais cette formule est de plus en plus contestée.
Promouvoir « des modes de rupture négociée » entre employeurs et salariés afin d'éviter des procédures « longues et incertaines » : le président de la République, Nicolas Sarkozy, a relancé le 18 septembre devant l'Association des journalistes d'information sociale (AJIS) l'une de ses idées, avancée aussi par le Medef, pour réformer le contrat de travail. La rupture négociée existe déjà sous deux formes. D'une part, le départ négocié, qui n'est ni une démission ni un licenciement et n'ouvre pas droit aux indemnités de chômage, raison pour laquelle cette modalité est très peu utilisée. D'autre part, le licenciement transactionnel, par lequel un employeur souhaitant se séparer d'un salarié pour un motif risquant d'être contesté paie « le prix de sa sécurité juridique », comme le dit Sophie Brézin, avocate d'employeurs, associée du cabinet Herbert Smith. Quant au salarié, il perçoit une indemnité censée compenser le préjudice qu'il a subi et lui éviter un procès souvent long. Cette pratique est définie dans le code civil, article 2044 : « La transaction est un contrat par lequel les parties terminent une contestation née, ou préviennent une contestation à naître. » Ayant « l'autorité de la chose jugée », elle ne peut, en principe, être remise en cause devant la justice sur les points qu'elle est censée régler.
Et pourtant, de plus en plus de transactions font l'objet de contentieux. « Nous n'en examinions pratiquement pas au début des années 1990, observe Gilles Soetemondt, président CFDT du conseil des prud'hommes de Paris. Depuis, leur nombre s'accroît, sans toutefois être exponentiel. » Ces affaires représenteraient, selon lui, « moins de 5 % » de l'ensemble des procédures prud'homales. Une simple évaluation, car il n'existe pas de statistiques sur leur nature.
En général, ces conflits surviennent lorsque le salarié, une fois licencié, « s'aperçoit qu'il a été floué sur le montant, après avoir discuté avec ses anciens collègues, des syndicats ou des avocats », constate M. Soetemondt. Dans d'autres cas, le salarié estime, après-coup, que le motif n'était pas valable. Ces procès n'étonnent pas Patrick Tymen, avocat de salariés : « Les transactions sont conclues par des parties entre lesquelles existe un rapport de pouvoir, même lorsque chacune a un avocat. Aussi l'accord que donne le salarié n'est pas toujours totalement libre. En transigeant, il renonce à des droits dont il n'a pas la capacité d'apprécier toute l'étendue. Il n'est pas surpr enant que surgisse la contestation quand, sorti du quotidien de l'entreprise, le salarié recouvre cette capacité. »
Dans d'autres dossiers, « des salariés estiment que la transaction a couvert la rupture, mais que certains aspects n'ont pas été pris en compte, par exemple le harcèlement moral » subi, raconte Alexandra Lance, avocate d'employeurs au cabinet Capstan.
Jusqu'en 1996, sur cette question, « la justice était peu regardante, constate François Taquet, professeur de droit à l'ESC de Lille et avocat d'employeurs. Tout était permis ou presque : payer une somme ridicule, signer la transaction avant le licenciement. Face aux abus, les juges ont eu le souci de recadrer cette pratique ». La Cour de cassation a ainsi fixé, dès 1996, que la transaction doit être conclue une fois la rupture intervenue, après réception par le salarié de sa lettre de licenciement, afin que celui-ci ait une connaissance précise des motifs invoqués. Dans les faits néanmoins, la signature de la transaction intervient souvent avant le licenciement. Pour respecter les règles en apparence, la transaction est postdatée et l'employeur la conserve jusqu'à ce que le salarié vienne muni de la lettre de licenciement. Cette pratique perdure et, régulièrement, la Cour de cassation annule des transactions ainsi conclues. Elle a aussi défini que, dans une transaction, les concessions doivent être réciproques ; elles peuvent être déséquilibrées, sans toutefois être dérisoires. Mais là aussi, des arrêts relèvent régulièrement que ces règles n'ont pas été respectées. « Dès qu'il existe une faille dans le montage, il y a un risque de contestation », souligne Jean-Michel Laborie, DRH dans le secteur de la presse, qui, n'ayant « jamais eu à affronter des contestations », conseille aux employeurs de « ne pas faire n'importe quoi. Le conflit doit être réel. La faute aussi », si elle est invoquée pour licencier.
Les employeurs ne semblent pas refroidis par ces affaires. « Ce sont des non-événements, estime Stéphane Béal, avocat d'employeurs au cabinet Fidal. Chaque jour, les entreprises prennent des risques. En revanche, il serait ennuyeux qu'en signant une transaction, l'employeur prenne un risque sans en avoir conscience. » C'est pourquoi les entreprises tentent de verrouiller les procédures. « Nous conseillons à nos clients de prévoir des clauses larges, intégrant toute cause de contestation éventuelle future », précise Me Lance. Dans nombre de transactions figure ainsi la formule : « indemnité globale, forfaitaire et définitive destinée à compenser le préjudice de toute nature que le salarié estime avoir subi ». Mais la garantie n'est pas à 100 %. En cas de forfait, il est « difficile, pour le salarié, de contrôler que tous les éléments sont inclus : préavis, indemnité de licenciement, indemnité complémentaire, etc., observe M. Soetemondt. Et le salarié découvre souvent, après coup, que le compte n'y est pas ». « Il faut de vraies compensations, forcément supérieures à l'indemnité légale de licenciement » sans cause réelle et sérieuse, prévient Me Brézin. Celle-ci est de six mois de salaire au moins pour le licenciement sans cause réelle d'un salarié ayant au minimum deux ans d'ancienneté dans une entreprise de plus de onze salariés.
Les directeurs des ressources humaines (DRH) qui ont vécu ces procès restent muets. « Pour eux, une transaction contestée est un aveu d'échec, estime un DRH. Ils préfèrent ne pas en parler. »
Francine Aizicovici - Article paru dans l'édition du 25.09.07 du Monde
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