Des collègues sont venus gentiment me glisser cet article ... preuve que l'on y trouve quelques vérités partagées ... je partage aussi cette analyse !
Paul Pinto est président de manageyourself, et auteur de " Renouveler l'entreprise " (Express Éditions 2007).
------------------------------------------------------------------------
Deux constats en préambule : la majorité des innovations internes à l'entreprise provient de collaborateurs situés trois niveaux en dessous de la direction. Et la première cause de départ d'un client est due à un mauvais traitement infligé par l'entreprise. Ces deux constats nous amènent à une conclusion simple : les clients et les collaborateurs sont des actifs précieux. La fidélité des uns et la capacité d'initiative des autres permettent à l'entreprise de croître et de prospérer. Les grandes entreprises ont-elles progressé dans la gestion de ces précieux actifs ? Oui, si l'on raisonne en termes d'outils : depuis une dizaine d'années, méthodologies et technologies prospèrent de concert pour livrer un flux ininterrompu de solutions. Non, lorsque l'on observe la réalité sur le terrain.
Du point de vue des collaborateurs comme du point de vue des clients, la dérive bureaucratique conquiert chaque jour un peu plus d'espace. Et le phénomène s'accélère avec la généralisation des applications de gestion qui donnent naissance à une bureaucratie d'un type nouveau, implacable et infaillible : la bureaucratie cybernétique, c'est-à-dire de la bureaucratie avec des outils de gestion de plus en plus puissants. Même les entreprises de grande consommation, telles que Nestlé, considéré naguère comme une référence en matière d'innovation marketing, se font rattraper par le phénomène.
Double déséquilibre
Qu'entend-on par dérive bureaucratique ? Il s'agit en fait d'un double déséquilibre qui se met sournoisement en place dans les grandes entreprises : la prise de pouvoir des processus sur les hommes, d'un côté, la prise de pouvoir des experts sur les opérationnels de l'autre.
Après avoir été des concepts puissants d'analyse, les processus se sont transformés en " créatures transverses " totalitaires qui assujettissent fonctions, pays et collaborateurs. Les experts en " processus RH ", " processus supply chain ", " processus road to market " prolifèrent et ne sont plus désormais de simples conseillers des opérationnels, mais travaillent exclusivement pour la direction générale. Pour acquérir de la légitimité, ils agissent directement sur le management opérationnel (fabrication, distribution, ventes, etc.) le plus souvent en court-circuitant la hiérarchie. La conséquence de tout cela, c'est une centralisation accrue du pouvoir dans la technostructure de l'entreprise, un affaiblissement de l'autorité aux niveaux intermédiaires, un étiolement de l'esprit d'initiative à la base, une moindre réactivité aux aléas. De nombreux opérationnels se retrouvent chaque jour un peu plus isolés les uns des autres et placés dans des positions d'exécutants, au service d'applications de gestion ou des processus transverses dont ils ont du mal à comprendre laportée ou l'utilité. Les procédures de reporting foisonnent sans réel contrôle, envahissent les boîtes mail, les bureaux et les salles de réunion. Les rentrées budgétaires ressemblent parfois aux rentrées littéraires avec leurs accumulations de nouveautés.
Standardisation des tâches
Dans le même temps, les clients sont de plus en plus perplexes face à des démarches de recouvrement inutilement agressives ou la pauvreté des discours uniformisés des services après-vente, l'absence de réelle écoute et de prise en compte de leurs problèmes... Les analystes et de nombreux consultants en management ont largement contribué à cette situation. Face à la croissance de la complexité, ils ont encouragé une standardisation des organisations et une automatisation accrue des tâches. Ils ont contribué à la prolifération des outils et des systèmes qui emprisonnent l'initiative et inhibent la responsabilité des opérationnels. De nombreux dirigeants ont également leur part de responsabilité, notamment en s'engageant massivement et aveuglément dans l'utopie cybernétique qui se résumerait à un ensemble de processus qu'il suffit d'optimiser et/ou d'externaliser.
Remettre l'homme et le client au coeur du management devient réellement indispensable pour renverser la tendance.
L'expérience acquise dans l'utilisation des nouvelles applications de gestion doit permettre aux entreprises d'asservir les processus aux véritables enjeux de création de valeur, mieux distribuer le leadership en interne et mettre plus de ressources en face des clients. La dérive bureaucratique n'est pas une fatalité des grandes entreprises, comme un mal nécessaire face à la croissance de la complexité. Le management doit redonner aux grandes entreprises leur énergie vitale, celle qui donne aux collaborateurs envie de s'investir plus, celle qui donne aux clients envie de s'engager davantage.
Commentaires