Les grands groupes font désormais voyager leurs cadres en classe économique, une pratique qui pourrait durer
La crise continue de peser sur le transport aérien : fret, passagers des classes arrière ou avant, tous les indicateurs sont dans le rouge depuis plus d'un an. Mois après mois, l'Association internationale du transport aérien (IATA), qui regroupe 230 compagnies aériennes assurant 93 % du trafic mondial, prévoit des pertes de plus en plus importantes pour le secteur et met en avant la faiblesse de l'activité.
L'IATA table désormais sur une perte globale de 9 milliards de dollars (6,2 milliards d'euros) en 2009 pour l'ensemble de ses adhérents. En juin, le trafic fret a baissé de 16,5 % par rapport à juin 2008 et le trafic passagers toutes classes confondues a reculé de 7,2 %. Pis. Au mois de mai, le nombre de passagers voyageant en classe premium (première ou affaires) a plongé de 23,6 %, par rapport à mai 2008, mois à partir duquel le reflux a commencé.
Une catastrophe pour les compagnies. Car si les passagers des classes affaires et première, selon le critère du nombre, ne comptent que pour 7 % à 10 % du total des passagers, ils contribuent pour 25 % à 30 % aux recettes. Selon l'IATA, les revenus tirés de la classe premium ont fondu de 45 %, sur un an, en mai 2009. Les compagnies aériennes s'inquiètent de la disparition de cette manne. Et elles redoutent que la crise, dans cette catégorie de places, lucratives pour elles, soit durable.
C'est l'opinion récemment exprimée par Willie Walsh, l'ex-pilote devenu patron de British Airways : « Le marché premium ne retrouvera peut-être jamais ses niveaux d'avant la crise. »
De nombreux patrons de compagnies craignent aussi que les classes avant des vols long-courriers restent encore longtemps vides. Pourquoi ? Parce que l'essentiel de la clientèle des classes affaires et première est constitué de cadres supérieurs dont les entreprises, obsédées par la réduction des coûts face à la crise, ont cherché à limiter les déplacements ou à les rendre moins onéreux. Elles n'ont ainsi pas hésité à les faire voyager en classe économique, un changement d'habitude qui pourrait bien perdurer même lorsque la reprise économique sera là.
« Avec la crise, tous les grands groupes ont banni la première classe, sauf pour le top management », explique un conseiller de ces entreprises. « Désormais, sur les moyens-courriers, pour aller dans les pays de l'Est, en Russie, voire même à New York, les cadres partent en classe économique », poursuit ce spécialiste, qui affirme que les économies ainsi réalisées vont « parfois d'une échelle de huit à un ».
Ces mesures d'économies ont été prises chez L'Oréal. Imposées depuis plusieurs mois aux cadres de ce groupe implanté dans 130 pays, elles visent à ne conserver que les déplacements essentiels et incontournables en avion. Ces derniers ne s'effectuent désormais plus qu'en classe économique. La direction souhaite ainsi modifier la façon de travailler et encourager, le plus possible, le recours aux visioconférences et aux conférences téléphoniques. « Les cadres apprennent à travailler autrement », explique la direction de L'Oréal, qui devrait donner des estimations chiffrées sur les économies déjà ainsi réalisées, fin août, lors de la publication semestrielle des résultats. Avec l'ambition à peine voilée de faire perdurer cette politique.
Chez Lafarge, « une certaine retenue, de bon sens » est de rigueur au sein du groupe. « Nous sommes un groupe mondial très éparpillé. Il y a des déplacements minimums, mais nous les évitons quand nous le pouvons, signale la porte-parole du groupe. La technologie le permet, nous sommes équipés de vidéoconférence. » Et si « la crise a accentué les efforts, la tendance aux économies de déplacement était déjà là », poursuit cette dernière.
Face à ce changement de comportement et convaincues que les entreprises ne reviendront pas de sitôt aux habitudes antérieures pour les voyages d'affaires de leurs cadres, les grandes compagnies aériennes cherchent à faire évoluer leur modèle économique. La crise a démontré que celui-ci était trop largement tributaire de ce que l'on appelle « des classes à haute contribution » et elles cherchent aujourd'hui à s'inspirer des méthodes de gestion des compagnies à bas coûts qu'elles avaient pourtant largement critiquées dans le passé.
Chez Air France, la réflexion est déjà bien avancée : l'automne verra la mise en place d'une classe intermédiaire, la premium, entre la classe affaires et la classe économique. On ne cache pas non plus réfléchir au dimensionnement de la cabine avant comme à la pertinence de maintenir ces mêmes classes avant sur le moyen-courrier, c'est-à-dire des vols de moins de trois heures. British Airways, de son côté, a déjà réduit le nombre de ses sièges à l'avant de l'avion, comme l'a fait aussi la compagnie australienne Qantas.
Si, pour les compagnies aériennes, la crise économique s'est traduite pas des dégâts financiers majeurs, l'après-crise s'annonce lui aussi plein d'incertitudes et de menaces.
François Bostnavaron avec Nicole Vulser
Article paru dans l'édition du Monde du 06.08.09
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