Bruit, promiscuité... de nombreux salariés souffrent de ce mode d'organisation de l'espace
Mauvaise nouvelle pour les réfractaires au travail en espace ouvert. La fin, souvent annoncée, des « open spaces » (bureaux collectifs installés sur un plateau unique), n'est pas pour demain. Bien que l'on soit loin du new new management avec le « bench » - bureau composé de tables de bibliothèque - ou le « free seating » où l'on réserve sa place, « il aurait même le vent en poupe, affirme Elisabeth Pélegrin-Genel, architecte, urbaniste et psychologue, auteur de Des souris dans un labyrinthe (La Découverte, 2010). C'est un mouvement irréversible. » Car le modèle impose son hégémonie : 60 % des entreprises françaises l'ont adopté.
Pourtant, sa mauvaise réputation ne date pas d'hier. Souvenons-nous de Monsieur Hulot, dans Playtime, de Jacques Tati, ou encore de The Apartment, de Billy Wilder. Plus près de nous, le pamphlet de deux trentenaires, Alexandre des Isnards et Thomas Zuber (L'Open space m'a tuer, Hachette, 2008), n'a pas arrangé son portrait. Le tendre et cynique roman de l'Américain Joshua Ferris Open Space (Denöel, 2007) n'en a pas moins la dent dure. Sur le Web existe même un forum - Lopenspacematuer.com - et, sur Facebook, un comité de libération des détenus des open spaces français...
Les salariés disent n'en plus pouvoir de ce symbole du management transparent et démocratique, de ce supposé stimulant de l'efficacité et de la communication. Les barrières hiérarchiques sont-elles effacées ? Augmente-t-il la créativité et la productivité ? Favorise-t-il les échanges et le travail en équipe ? « Même dans un bureau vitré, un chef reste un chef », assure Juliette Darlin, assistante dans une société de communication.
Quant aux échanges ? « On se parle davantage en open space, mais pour dire quoi ?, questionne Elisabeth Pélegrin-Genel. Il serait plus juste de dire que l'on s'interpelle. Un bureau ouvert à 10, 15 personnes, voire davantage, c'est épuisant. » C'est bruyant, et il peut devenir impossible de s'entendre et de se concentrer. Sauf à opter pour le casque... pas vraiment idéal pour la communication !
« Auparavant, rappelle Odile Duchenne, secrétaire générale de l'observatoire Actinéo, l'open space était synonyme de liberté, cela faisait moderne. Aujourd'hui, cela veut dire bruit, stress, fatigue, sensation de surveillance, privation d'intimité. » Et Elisabeth Pélegrin-Genel de renchérir : « Comme si ne pas s'isoler était naturel ! »
Alors, pourquoi les open spaces se développent-ils ? Réponse : pour faire des économies. La cherté de l'immobilier (3e poste de dépense des entreprises, après le personnel et l'informatique) accélère la chasse au mètre carré. Davantage de personnel dans moins d'espace, avec à la clé un gain de surface de 10 % à 40 %. Et 20 % d'économies sur le budget. Résultat : l'espace du salarié est passé de 25 m2, il y a dix ans, à 10 et 12 m2, si l'on intègre les parties communes. En réalité, l'espace « habitable » serait plutôt de l'ordre de 6 à 8 m2 per capita.
« L'embellie des open spaces tient aussi aux nouveaux outils et façon de travailler de manière collaborative et en réseau, nuance Elisabeth Pélegrin-Genel. L'ordinateur fait écran et remplace les cloisons et l'on quitte sa chaise pour répondre au téléphone portable. » « Toutefois, regrette Odile Duchenne, directrice générale d'Actinéo, les entreprises économisent sur tout, y compris sur les plafonds absorbants, l'insonorisation, le mobilier, la lumière, et les espaces ouverts deviennent des poulaillers. »
« Mauvais calcul », s'exclame Olivier Saguez, de l'agence conseil et création en identité de marque, Saguez & Partners, qui a créé en 2010 une filiale spécialisée dans les espaces de travail. Il déplore que « depuis l'apparition de ces nouveaux outils rien n'ait changé dans les bureaux ! Sauf que l'on s'en occupe de plus en plus mal. Ce sont les services généraux qui gèrent les espaces de travail au lieu des directions des ressources humaines. C'est la promotion immobilière contre celle des personnels ».
Devant les réalisations de son entreprise, l'on se pince pour être sûr de ne pas rêver. Les open spaces de charme, cela existe. A commencer par leur nouveau siège social, la Manufacture Design, à Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis). Ou dans ceux de Microsoft, d'Unibail et de GDF Suez... Olivier Saguez milite pour que cohabitent bureaux ouverts et fermés, des espaces à taille humaine où coexistent plusieurs lieux que les gens investissent au cours de la journée et où ils se sentent bien.
« Il faut en finir avec le spectaculaire, la représentation très française du hall qui en jette, du perron royal, etc. », prévient-il. Quant au coût ? Il nous assure que cela n'est pas plus cher de réaliser des locaux bien pensés où il est agréable de travailler.
Mélina Gazsi
Article paru dans l'édition du Monde du 19.02.11
Commentaires