Les plans de continuité d'activité visent à remplacer en priorité les « salariés indispensables » malades Comment maintenir l'activité de l'entreprise si la grippe A(H1N1) provoque un taux d'absentéisme de 25 % durant les huit à douze semaines de la possible vague pandémique et de 40 % durant les deux semaines de pic ? Ces hypothèses, retenues par la direction générale du travail dans sa circulaire du 3 juillet, donnent la fièvre aux directeurs des ressources humaines (DRH). Construire un plan de continuité de l'activité (PCA) prévoyant notamment le remplacement de salariés occupant des fonctions-clés « est assez compliqué parce qu'on ne sait pas à l'avance qui sera absent, mais beaucoup de grandes entreprises ont déjà leur PCA depuis des années, qu'ils actualisent », témoigne Michel Yahiel, président de l'Association nationale des directeurs des ressources humaines (ANDRH). Difficile aussi parce que les documents officiels recommandent de faire la liste, dans le PCA, des « fonctions-clés ». Dans leur langage courant, les managers parlent plutôt de « salarié indispensable », expression malhabile, car susceptible de créer un mauvais climat dans les équipes entre ceux qui seront désignés comme tels et ceux qui ne le seront pas. Pour bâtir un PCA, le dialogue social est recommandé : « Pour que les choses se passent au mieux, direction et représentants du personnel doivent trouver ensemble des solutions, puis les présenter aux salariés, sinon ce sera la panique le jour venu », prévient Françoise Pelletier, avocate associée du cabinet Lefèvre, Pelletier & associés.
Les remplacements risquent aussi d'être compliqués dans le domaine de la sécurité-prévention, les salariés devant disposer d'un agrément préfectoral, ou encore dans la sûreté aéroportuaire, dont le personnel - qui filtre les passagers aux portiques, par exemple -, doit avoir un double agrément, l'un préfectoral, l'autre du procureur de la République, ainsi qu'une formation. Très exposés en cas de pandémie, ces personnels pourraient voir leur taux d'absentéisme bondir.
« Notre PCA est prêt, on a tout prévu », assure-t-on à la société de transport de fonds et de sécurité Brink's. Si besoin, les salariés en repos ou en congés seront rappelés et « Aéroports de Paris réorganisera l'enregistrement des voyageurs, en prévoyant moins de portiques, précise la Brink's. De toute façon, il y aura moins de passagers aussi. » Mais les salariés sont inquiets. « Nous sommes déjà en sous-effectif et les possibilités de remplacement sont très limitées. On va vers la catastrophe », s'inquiète Christine Hamiani, élue CGT au comité d'entreprise (CE) de Brink's à l'aéroport d'Orly. Certes, la direction a prévu des masques, « mais nous faisons déjà un métier difficile, face à la clientèle, insiste-t-elle. Je ne vois pas comment on va tenir toute la journée avec ces masques. Et on nous a refusé un aménagement des pauses » .« Les entreprises ont tendance à orienter le PCA vers le maintien de la production, sans s'intéresser aux conditions de travail de ceux qui ne seront pas malades, constatent Bertrand Canepa et Daniel Depoisier, chargés de mission à l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (Anact). Or ceux-ci vont aussi être confrontés à des risques inédits, notamment psychosociaux » face à des clients qui pourraient être angoissés.
Les remplacements par des extras et la polyvalence s'envisagent plus facilement dans l'hôtellerie-restauration, les salariés ayant souvent occupé différents postes au cours de leur carrière. Et si nécessaire, indique Cécile Prévost, directrice adjointe des ressources humaines du groupe des hôtels Concorde, « nous pourrons décaler des projets, comme le remplacement des couettes, pour concentrer le personnel présent sur le service aux clients ».
Bruno Franck, directeur du restaurant La Maison Blanche, dans la prestigieuse avenue Montaigne à Paris, s'inquiète de certaines fonctions-clés, comme les sommeliers. « Eux seuls connaissent, et modifient régulièrement, l'emplacement des bouteilles dans la cave, qui compte 350 références. Je leur ai demandé un plan détaillé de la cave et notre barmaid va recevoir une formation sur les vins, indique-t-il. Peut-être aussi un de nos trois managers. » Parmi les fonctions-clés, il faut aussi s'interroger sur la paie. « Si nos trois salariés qui s'en chargent tous les mois sont malades, le personnel ne sera pas payé », souligne un DRH.
En se préparant à une éventuelle pandémie, les entreprises, du moins celles qui prennent la menace au sérieux, engagent un vaste remue-ménage. Une culture de la prévention et de la solidarité pourrait ainsi se diffuser. « Les équipes devraient en ressortir plus soudées », espère M. Yahiel.
Francine Aizicovici
Article paru dans l'édition du Monde du 08.09.09
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