Norbert Alter n'est pas le premier à souligner l'avantage des stratégies coopératives dans le monde du travail. L'intérêt de cet ouvrage est d'abord de fournir une synthèse éclairante des problématiques sur le sujet. Ensuite, de s'appuyer sur la parole de cadres, employés, techniciens, infirmières, dont on peut lire les témoignages reproduits, pour certains in extenso... Enfin, de déboulonner, parfois avec ironie, quelques dogmes d'un management prétendument à la page, qui voudrait notamment que le problème numéro un des organisations soit de « mobiliser les salariés ».
« Il existe bien une forme d'économie primitive dans toute une partie de nos échanges dits modernes », écrit le professeur à l'université Paris-Dauphine, spécialiste en sociologie du travail et des organisations, qui revendique l'héritage de Marcel Mauss et de son fameux Essai sur le don (PUF, 2007). On donne pour exister. Mais le don est une anomalie. Il subvertit l'ordre marchand. Il bouscule la hiérarchie et transgresse les règles établies, justement parce qu'il n'est pas modélisable. Les ouvrages de management préconisent généralement que salariés et employeurs soient quittes, plutôt que mutuellement endettés. Il s'ensuit que la multitude d'échanges informels dans l'entreprise sont souvent l'objet d'un déni. A tort.
Des entretiens que Norbert Alter a menés, il ressort que le « mal-être » au travail proviendrait surtout de l'incapacité de l'entreprise à reconnaître la valeur des dons des salariés. « Ingratitude », déficit de « reconnaissance » sont les mots qui reviennent le plus souvent. L'auteur montre que les pratiques coopératives, du partage de compétences aux gestes de solidarité, en passant par les « dons affinitaires », sont en réalité profitables. Elles dessinent les contours d'une vraie « ingéniosité collective » que le management préfère ignorer, quand il ne lui fait pas la chasse.
Philippe Arnaud
Article paru dans l'édition du Monde du 05.05.09
Lire description du livre ici
Commentaires