La performance doit-elle être mesurée, calibrée, incitée ? Faut-il gagner plus pour travailler plus ? Comme si l'activité humaine ne trouvait sa motivation que dans l'appât du gain ou la peur de la sanction ? C'est le sujet décortiqué par Maya Beauvallet à travers l'analyse d'une douzaine de cas de stratégies de management basée sur des indicateurs de performance, dans des domaines aussi différents que l'industrie électronique, le patinage artistique ou l'obstétrique. Une réflexion distrayante sur le rôle et la fiabilité des indicateurs en tout genre.
L'économiste décrit comment, en passant « d'un monde de logique de l'honneur » professionnel à celui des indicateurs de performance, les résultats obtenus sont parfois contraires à ceux espérés, voire absurdes, comme ces chirurgiens qui cessent d'opérer pour tenir leurs quotas. Les changements de comportements sont systématiques après la mise en place de ces stratégies d'incitation individuelle ou collective, constate-t-elle, mais il y a plusieurs manières de gagner une course : « Soit courir plus vite que les autres, soit empêcher les autres de la gagner. » Les individus qui comprennent très vite leur intérêt préfèrent parfois saboter le travail de leurs collègues que d'améliorer leurs propres performances. Conclusion, les entreprises deviennent l'objet d'actes de sabotage avec ses « killers » et ses passagers clandestins - ceux qui se reposent sur le travail des autres. Et les managus constatent le recul d'une saine collaboration.
L'auteur ne condamne pas les stratégies d'incitations mais en explique les limites, offrant ainsi aux responsables des ressources humaines une lecture rafraîchissante des choses à ne pas faire.
Par exemple, les incitations collectives sont efficaces dans une chaîne de production où il faut lisser la productivité, mais pas dans d'autres types d'entreprises, comme le centre d'appels étudié par le directeur de marketing Daniel Hansen, où les incitations collectives donnent paradoxalement le blues aux meilleurs, sans que les mauvais s'améliorent.
Dans un autre exemple, illustré par une étude de l'économiste suisse Bruno Frey sur le bénévolat, l'auteur constate que les incitations monétaires réduisent les motivations « intrinsèques » que sont le plaisir, l'intérêt personnel, le civisme, etc. « Un peu d'action intéressée dans un système de désintéressement suffit à détruire l'ensemble du système », analyse-t-elle.
Les motivations au travail sont aussi complexes que l'âme humaine, rappelle Mme Beauvallet, qui n'hésite pas à se référer à Montaigne pour appuyer son raisonnement : les indicateurs de performance indispensables au management doivent être régulièrement affinés et les stratégies d'incitation adaptées au cas par cas.
En épilogue, l'auteur n'a pas résisté à la tentation de chuter sur les lacunes d'un système de mesure de performance des entreprises au coeur de l'actualité économique : les agences de notation, qui ont maintenu l'illusion de la bonne santé financière de sociétés aujourd'hui en faillite.
Anne Rodier
LES STRATEGIE ABSURDES : Comment les indicateurs de performance piègent les manageurs (Maya Beauvallet – Seuil. 152p 14€)
Article paru dans l'édition du Monde 13.01.09
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