Salariés du privé : la tentation du désengagement
Employeurs, attention au désengagement de vos troupes ! A une semaine d'intervalle, deux études - l'une publiée le 16 octobre par la Cegos, cabinet de ressources humaines, l'autre en date du 23 octobre, réalisée par Towers Perrin, conseil en management - pointent le même danger : les salariés du privé, y compris les cadres supérieurs, prennent de plus en plus leurs distances avec l'entreprise.
Tout n'est pas noir. L'enquête de la Cegos intitulée "Climat et relations sociales dans l'entreprise" précise que 87 % des interviewés jugent bonne l'ambiance générale de travail, un résultat identique à celui de 2004, année de la dernière édition de l'étude. Pour autant, la satisfaction exprimée est surtout liée au micro-environnement des salariés : les relations avec les collègues, les conditions matérielles dans lesquelles ils travaillent, l'organisation des horaires, etc.
Marion Marchal, consultante senior chez Towers Perrin et l'une des responsables de l'enquête "Global Workforce Study : données, stratégies et solutions", menée au niveau mondial, insiste de son côté sur "l'amour que les salariés portent à leur travail". "Ce serait un contresens, explique-t-elle, de croire qu'ils ont tous envie de travailler moins et d'aller cultiver leur jardin secret."
Pas de catastrophisme donc, mais un avertissement lancé à l'attention des directeurs des ressources humaines (DRH) afin qu'ils réagissent au malaise exprimé par les salariés. "Si ces derniers ont une certaine confiance dans l'avenir de leur entreprise, indique la Cegos, en revanche, ils sont beaucoup plus inquiets concernant la prise en compte de leur propre situation professionnelle." Selon les chiffres de la Cegos, le niveau de rémunération reste le principal critère de mécontentement : 38 % des interrogés se disent satisfaits, mais 35 % ont un avis contraire. Il en va de même pour les perspectives d'avenir au sein de l'entreprise : 37 % estiment qu'elles sont "bonnes", mais 34 % pensent qu'elles ne le sont pas. Ils sont autant à affirmer "que leurs demandes d'évolution de carrière ne sont pas bien prises en compte". Au final, le nombre de salariés impliqués dans leur travail est en baisse : 62 % en 2004, 58 % en 2007.
Les résultats obtenus par Towers Perrin vont dans le même sens puisqu'ils montrent que les salariés français sont plus désabusés que leurs confrères étrangers. L'entreprise "freinerait leur élan". Ils sont ainsi 25 % à penser "que leur employeur les motive à faire le meilleur", contre 36 % des salariés européens. Si 54 % des interviewés pensent "que leur situation financière sera meilleure dans le futur" - c'est une moyenne mondiale -, cet avis est partagé par seulement 38 % de Français. Le fossé est identique concernant le fait "d'être optimiste vis-à-vis de l'avenir" : 60 % (moyenne mondiale) contre 47 % en France. "Cette prise de distance n'est pas nouvelle, convient Marion Marchal, mais elle s'est beaucoup creusée. Il y a trois ans, nous sentions cette tendance progresser. Mais, cette fois-ci, le divorce est bel et bien prononcé entre les dirigeants et leurs cadres supérieurs."
Les salariés, précise-t-elle, restent en revanche en phase avec leur manager de proximité, qui mouille sa chemise comme eux, mais qui a du mal à comprendre - et donc à expliquer - les allers-retours stratégiques des responsables de l'entreprise. "La vision n'est pas vraiment partagée, plutôt à court terme, un coup de barre à gauche, un coup de barre à droite... Du coup, les salariés se démotivent, et c'est totalement légitime". Les affaires qui font aujourd'hui la "une" de l'actualité (EADS, etc.) n'arrangent pas ce sentiment "d'états-majors devenus des petites chapelles inaccessibles" tandis que, parallèlement, l'internationalisation des groupes rend "la gouvernance de plus en plus désincarnée".
Comment réagir ? En améliorant la qualité du management et des politiques de ressources humaines : selon la Cegos, seulement 58 % des entreprises disposent d'un système d'évaluation et, quand un entretien annuel est réalisé, un salarié sur deux estime "qu'il ne (lui) permet pas de faire un point sur (ses) résultats et (ses) possibilités d'évolution". Le dossier de la formation professionnelle est tout aussi symbolique. Un quart des entreprises interrogées par la Cegos lui consacrent moins de 2 % de leur masse salariale. Et, alors que les salariés sont très demandeurs, 25 % déclarent "qu'ils n'ont pas accès aux formations nécessaires pour bien réaliser leur travail". Les conditions de travail s'améliorant, le nombre des conflits collectifs baisse : seulement 34 % des entreprises du panel de la Cegos disent avoir connu des mouvements sociaux au cours des trois dernières années. En revanche, et cela n'a rien d'étonnant, les démissions et l'absentéisme progressent.
Marie-Béatrice Baudet - Paru dans l'édition du 23.10.07 du Monde
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