En France, depuis quelques année, s’est imposée la culture du management par objectifs comme seule bonne pratique dans la conduite d’une équipe. Pour le management, la méthode consiste à fixer des objectifs à plus ou moins long terme à ses collaborateurs et, pour ces derniers, à s’astreindre à les remplir avec le plus d’assiduité possible ! !
Simple, facile à comprendre et donc évidemment, facile à appliquer …
Mais lorsque l’on passe de la théorie à la pratique, cela se complique … la méthode de management par objectifs ne marche pas si bien. Dans nombre de métiers dont les produits de sorties ne sont pas liés à des critères quantitatifs automatiquement déclinables par un chiffre, la méthode patine, voire s’enlise dans un relationnel où se nouent incompréhensions et malentendus.
Ce dysfonctionnement est complexe, mais un élément de réponse pourrait être à rechercher dans une double culture française : celle du manager et celle du managé. Historiquement, la culture française du management laisse une large place à l’affectif.
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D’un coté, le manager a le souci des personnes qu’il encadre. Il est dans un rapport de bienveillance qui trouve sa contre-partie dans le bon travail fourni par ses collaborateurs. C’est la culture que l’on qualifie généralement de paternaliste.
De l’autre coté, le managé se nourrit à la fois de la reconnaissance qu’il reçoit de ses paires (dont la hiérarchie fait partie), mais aussi d’un contentement personnel qu’il construit lui-même intérieurement, par sa propre satisfaction à bien accomplir son travail. C’est la culture de l’honneur et de la reconnaissance, qui permet d’ailleurs la construction de l’estime de soi au travail.
Sans le dire, ce mode de relation laisse une place assez large à l’autonomie individuelle des collaborateurs. Ceux-ci maîtrisent le métiers, ont le souci de bien le faire et souvent n’hésitent pas à donner d’eux-mêmes sans compter, quand le projet le demande.
Ainsi, les managers ont eu tendance à cultiver cette relation individuelle au travail en instaurant des relations que l’on appelait même de l’animation d’équipe. On se situait dans ce que l’on qualifierait aujourd’hui comme un win-win : autonomie contre souci du travail bien fait.
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Le management par objectifs, maladroitement copié-collé des méthodes anglo-saxonnes, boulverse ces modes de fonctionnement, intégrés dans nos comportements et nos façons de penser les relations dans l’entreprise.
Le manager n’anime plus, il encadre : il donne un cadre. Ce faisant, le collaborateur ressent cela comme une contrainte dans son autonomie et l’analyse subjectivement comme une perte de responsabilité. A l’extrême, un resserrement du cadre d’action et la nécessité de rendre compte à tout bout de champ de ses objectifs engendrent une déresponsabilisation importante (ou totale) des collaborateurs.
De plus, si le cadre se doit de fixer des objectifs à ses collaborateurs, ce n’est pas seulement pour la forme. Il se doit aussi de produire une évaluation, sur la base d’objectifs prédéfinis. Cette nécessité d’évaluation objective, par nature sans état d’âme, se heurte à la culture d’un management par l’affectif et à l’idée que se fait le manager de sa relation avec ses collaborateurs. Dans les faits, la méthode d’évaluation sera bien souvent détournée : les objectifs se fixant pour que l’évaluation puisse avoir lieu dans des « conditions acceptables ».
Cette déviance dans la méthode de travail conduit à un amoindrissement de l’échange entre les deux parties prenantes : les choses ne peuvent plus se dire naturellement. Le manager aura la frustration de n’avoir pu exprimer son ressenti quand le managé qualifiera le jugement final d’injuste puisque les choses n’auront pas été dites.
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Le double objectif du management par objectifs : responsabilisation sur des actions et feed-back pour amélioration n’est donc pas atteint. Dans de nombreux cas, il devient même contre-productif puisqu’il dé-responsabilise et affaiblie les managers dans leur statut d’encadrement.
La culture antérieure des individus reste prédominante sur les process relationnels à laquelle on voulait la contraindre. Pour autant, tout n’est pas négatif, si le management par objectifs échoue encore en France, c’est que l’attente d’un management qui produirait de la bienveillance à l’égard des salariés et un souci pour le travail bien fait est encore dans les mentalités … la question est : pour combien de temps ?
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