Le risque d'un ticket sans retour
Article de Catherine Petillon paru dans le Le Monde du 21.05.07
Lâcher son poste pour faire le tour du monde, travailler pour une organisation non gouvernementale (ONG) ou tenter de monter son entreprise... nombreux sont les salariés à souhaiter faire une pause dans leur carrière. Et les possibilités offertes par le droit du travail sont multiples, grâce aux divers congés spéciaux, en tête desquels figurent le congé sabbatique et le congé de création d'entreprise. Ces dispositions légales sont parfois améliorées par certaines entreprises ou conventions collectives.
"Les salariés qui expriment le souhait de prendre un congé sabbatique sont ceux qui s'interrogent sur leur carrière, n'ont pas réussi à faire ce qu'ils auraient voulu. Souvent, ils sont en recherche d'un sens ou ont la volonté de consacrer du temps aux autres. Les plus jeunes estiment aussi que cette expérience va leur apporter une valeur ajoutée", analyse Marguerite Chevreul, consultante pour le cabinet de ressources humaines EOS Conseil.
Ouvert aux salariés qui ont six ans d'expérience professionnelle et trois ans d'ancienneté dans l'entreprise, le congé sabbatique peut durer entre six et onze mois. A son retour, le salarié doit retrouver son précédent emploi ou un poste similaire, et une rémunération au moins équivalente. "La plupart de ceux qui prennent un congé sabbatique ont entre six et dix ans d'expérience professionnelle. C'est un âge où ils possèdent déjà une expertise, et encore peu de contraintes familiales", note Alain Perroux, directeur des ressources humaines (DRH) au cabinet Ernst & Young.
Certains employeurs, comme le cabinet de conseil Oliver Wyman, mettent en avant ces possibilités de congés dès le recrutement : "La question nous est souvent posée en entretien. Dans les métiers de conseil, et spécifiquement dans la stratégie, la charge de travail est très lourde. C'est exigeant en termes d'horaires, d'investissement personnel, explique Sylvie Mercier, DRH d'Oliver Wyman. Mais, en pratique, le nombre de demandes de congés reste faible."
On manque de données statistiques sur les prises de congés spéciaux. Il apparaît néanmoins que si beaucoup de salariés disent rêver de s'arrêter quelques mois, ils restent peu nombreux à le faire. Car ces pauses dans la carrière restent peu valorisées, voire mal acceptées par le monde de l'entreprise. Dès lors, partir paraît risqué. "L'essentiel réside dans la façon dont on présente son départ. Il est important que ce ne soit pas perçu comme un ras-le-bol de l'entreprise ; autrement dit, la communication autour de son projet conditionne la possibilité du retour", estime Mme Chevreul.
Le retour, c'est bien ce qui inquiète Florence, cadre chez Renault. "Je rêve de partir en voyage. Mais je viens d'obtenir une mutation qui me donne la possibilité d'acquérir une première expérience de management. En théorie, j'ai le droit de partir. Seulement, cela voudrait dire renoncer à l'évolution que je viens de commencer. Surtout, j'ai des doutes non pas quant à la pérennité de mon emploi, mais à l'intérêt du poste que je retrouverai. Si je partais, je serais peut-être perçue comme une personne peu fiable, qui s'en va à peine arrivée."
Parmi ceux qui ont tenté l'aventure, ils sont nombreux à témoigner de leurs difficultés au retour - placardisation, perte d'emploi, déficit de confiance... "Un encadrant dans un grand groupe ne peut pas espérer que son poste l'attende, estime Laurent Mortreuil, actuellement en congé d'une banque pour travailler à l'Union internationale des associations patronales catholiques (Uniapac). Partir peut être considéré comme une parenthèse dans une logique de carrière tranquille. Mais, dans une logique de carrière ascendante, ce n'est pas recevable dans ce milieu. Ma valeur ajoutée résidait dans ma connaissance des acteurs et d'une technique financière extrêmement pointue. Si je reviens, je sais que ce sera forcément pour faire un autre métier."
Denis Meyer, consultant à l'Association pour l'emploi des cadres (APEC), estime quant à lui que "si le congé parental ou de formation est bien accepté, prendre un congé sabbatique reste plutôt mal vu pour les cadres. Car, d'une certaine manière, cela revient à exprimer à l'entreprise le fait qu'elle peut se passer de vous". D'où l'importance de bien communiquer auprès de son employeur.
Un enjeu qui concerne également ceux qui souhaitent se lancer dans la création d'entreprise et peuvent bénéficier d'un congé d'un an, renouvelable une fois. "Quand le salarié envisage de demander un congé de création d'entreprise, il doit indiquer la nature de son projet. Il est alors préférable de connaître la position de son employeur sur de telles demandes, car il peut être, selon les cas, plus ou moins judicieux de demander un tel congé, explique Lysiane Yvon, chargée des questions juridiques à l'Association pour la création d'entreprise (APCE). En effet, l'entreprise pourra l'interpréter positivement si elle est lancée dans une politique d'externalisation de certaines de ses activités. Mais une autre entreprise pourra être réticente au fait de perdre un collaborateur précieux, ou encore pourrait interpréter cela comme un manque de motivation. Du coup, certains salariés privilégient le congé sabbatique - pour lequel il n'est pas nécessaire de donner un motif -, alors même que leur projet consiste bien à créer une entreprise."
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