Ce qu'il faut retenir de ce dossier…
Des négociations peu concluantes
- Malgré l'obligation pesant sur les entreprises de plus de 1 000 salariés de négocier sur la prévention du stress, peu d'accords ont été signés. Sur les 1 300 sociétés concernées, seules 230 disposent d'un accord et 200 d'un plan d'action.
- En outre, 70 % des accords se limitent à définir des outils pour établir un diagnostic. En matière de prévention, la plupart des mesures portent sur de l'accompagnement individuel ou de la gestion du stress. Très rares sont les accords abordant l'organisation du travail.
- Souvent négociés dans l'urgence et au niveau national, ces accords sont parfois contestés en interne, localement, par des équipes syndicales inquiètes des dérives possibles liées à certains dispositifs. Ce qui en limite l'application. Quand ils n'essuient pas un refus unanime des syndicats, car jugés déconnectés des réalités…
Des pièges pour les acteurs de prévention
- La logique de diagnostic partagé qui prévaut dans tous les accords peut inciter les acteurs de prévention à intégrer des dispositifs qui risquent de compromettre leur action.
- Les médecins du travail, notamment, doivent rester vigilants sur la préservation du secret médical. Aucun dispositif, quel qu'il soit, ne les autorise à partager des données individuelles ou ce qui leur a été confié par les salariés avec la DRH, un expert ou des représentants du personnel. De même, le fait de cautionner ou de participer à des actions qui ne visent pas à empêcher toute altération de la santé du fait du travail, ou qui tendent à déléguer leur rôle à des tiers n'ayant pas les mêmes règles déontologiques, engage leur responsabilité.
- De leur côté, les syndicats doivent notamment veiller à ne pas déposséder de leurs prérogatives les comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, via par exemple la mise en place de groupes de pilotage.
Une approche inefficace, voire dangereuse
- Le premier écueil de ces accords tient à ce qu'ils occultent presque systématiquement l'articulation entre le stress et le travail. Cet aveuglement est dû aux outils et à la définition du stress utilisés.
- Ainsi, afin d'établir un diagnostic scientifique sur la réalité du stress, les entreprises utilisent des questionnaires conçus dans une perspective épidémiologique. Censés établir à grande échelle des relations statistiques entre des caractéristiques de l'organisation du travail et des atteintes à la santé, ces questionnaires ne permettent pas de rendre compte des situations de travail réelles vécues par les salariés.
- Quant à la définition du stress, elle réduit ce dernier à un déséquilibre entre la perception qu'a le salarié des contraintes qu'on lui impose et celle qu'il a de ses propres ressources pour y faire face. Ce qui renvoie plus à sa personnalité qu'à son travail.
- Or le stress vient de l'impossibilité pour le salarié de faire un travail de qualité, de la difficulté à arbitrer seul et en permanence des demandes conflictuelles entre le respect du client, sa vision du travail bien fait et les impératifs productifs qui lui sont imposés. Ce n'est pas lui qui se sent trop petit face au travail, c'est l'organisation du travail qui ne lui permet plus d'exprimer et de développer son expérience.
- En se positionnant dans l'adaptation de l'homme au travail plutôt que l'inverse, les accords prévoient souvent des actions de dépistage ou de prise en charge psychologique des salariés les plus fragiles, ce qui les stigmatise encore plus.
Comment faire autrement
- Négocier sur la prévention du stress ne peut se faire hors sol. La seule démarche valable est celle qui consiste à analyser le travail, afin de saisir les dilemmes que doivent affronter les salariés.
- Et cela ne peut se faire qu'avec eux, dans le cadre d'une relation de confiance et d'espaces de discussion libres de toute pression managériale. Une démarche que des syndicalistes CGT essaient de mettre en oeuvre chez Renault, suite à une recherche-action.
Article issu du dossier Stress en entreprise : la prévention fait fausse route
Santé & Travail n° 074 - avril 2011