Le collège d'experts réuni pour définir les indicateurs pertinents en matière de suivi statistique des risques psychosociaux a rendu ses conclusions. Il propose six axes d'investigation correspondant à différents facteurs de risque.
Constitué fin 2008 par l'Insee à la demande du ministère du Travail, le collège d'expertise sur le suivi statistique des risques psychosociaux (RPS) a pris sa mission au sérieux : des dizaines d'auditions d'experts et d'acteurs sociaux, plusieurs revues bibliographiques, un rapport d'environ 200 pages achevé en mars dernier [1]… Les vingt experts du collège ont commencé par adopter une définition précise des RPS, " risques pour la santé mentale, physique et sociale engendrés par les conditions d'emploi et les facteurs organisationnels et relationnels susceptibles d'interagir avec le fonctionnement mental ". Ils se sont ensuite attachés à proposer un système de suivi au niveau national facile d'utilisation, précis et exhaustif, pertinent scientifiquement, comparable avec des outils étrangers… Au prix d'arbitrages parfois compliqués.
Un suivi de tous les travailleurs
En définitive, le collège suggère un suivi de tous les travailleurs, y compris les fonctionnaires et indépendants, centré sur " l'environnement organisationnel et sa perception par les personnes au travail ". L'idée de mesurer aussi des " traits de personnalité " a été écartée, car jugée coûteuse et incertaine. Six axes sont proposés pour le suivi des facteurs de risque, avec plusieurs questions pour chacun d'eux. Certaines de ces questions sont déjà posées dans des enquêtes existantes.
Le premier axe, intitulé " intensité et temps de travail ", renvoie aux notions de " demande psychologique " et d'" effort " retenues par les questionnaires internationaux construits sur les modèles de Karasek et Siegrist. Outre la durée et l'organisation du temps de travail, les questions portent sur les contraintes de rythme, l'existence d'objectifs irréalistes, flous ou contradictoires, la polyvalence, les interruptions d'activité non préparées, l'exigence de compétences élevées.
Le deuxième axe porte sur les " exigences émotionnelles " : doit-on contrôler, " façonner " ou cacher ses émotions au travail, pour gérer celles exprimées par les clients, les usagers, toute personne avec laquelle on interagit ?
L'" autonomie ", cible du troisième axe, se rapproche de la " latitude décisionnelle " des questionnaires internationaux. Les questions portent sur les marges de manoeuvre dans le travail, la participation aux décisions, l'utilisation et l'accroissement des compétences, le développement de soi et le plaisir au travail.
Viennent ensuite les " rapports sociaux au travail ", en lien avec des concepts de justice, de reconnaissance. Y sont inclus les relations avec les collègues, avec la hiérarchie, mais aussi les perspectives de carrière, l'adéquation de la tâche à la personne, les procédures d'évaluation ou les cas de harcèlement moral.
La " souffrance éthique ", cinquième axe, est ressentie par une personne à qui on demande d'agir en opposition avec ses valeurs : le but du travail heurte ses convictions ou bien elle doit travailler d'une façon non conforme à sa conscience professionnelle.
Dernier axe, l'" insécurité de la situation de travail " comprend l'insécurité socio-économique (emploi, revenu) et le risque de changement non maîtrisé de la tâche ou des conditions de travail.
Pas d'indice unique
Le collège a conclu logiquement qu'il n'était " pas possible de synthétiser l'ensemble des facteurs en un indice unique ". Il suggère donc de construire au minimum un indice pour chacun des six axes, avec ensuite des décompositions en indices plus détaillés. Enfin, sur l'éventualité d'une déclinaison de ce suivi statistique en entreprise, il appelle à la plus grande prudence, en conseillant de n'y recourir " qu'après avoir débattu collectivement de son intérêt et de ses objectifs au regard des interventions de type clinique ".
Serge Volkoff, statisticien
Santé & Travail n° 074 - avril 2011
" Les risques psychosociaux au travail : les indicateurs disponibles ", par Thomas Coutrot et Catherine Mermilliod, Dares Analyses n° 81, décembre 2010.
- (1) Les travaux du collège d'expertise sur le suivi statistique des risques psychosociaux sont accessibles sur www.college-risquespsychosociaux-travail.fr
Article issu du dossier Stress en entreprise : la prévention fait fausse route