C'est en discutant avec les salariés de ce qui les empêche de faire un travail de qualité que les représentants du personnel seront en mesure de comprendre ce qui les fait souffrir. Ils pourront ainsi négocier sur le stress en connaissance de cause.
Ne pas se laisser entraîner dans la signature d'un accord sur le stress qui évacuerait la question du travail. C'est le défi auquel sont confrontés les représentants du personnel et les directions des ressources humaines dans le cadre des négociations sur la prévention des risques psychosociaux. Car ce ne sont ni les outils de mesure du stress, ni les autres tentatives d'objectivation rassurante du phénomène qui seront porteurs de transformations et d'améliorations, mais bien la prise en compte du travail et de ce qu'en disent les salariés.
Or cette question du travail, dans sa dimension individuelle ou collective, est aujourd'hui éludée dans de nombreux accords, qui préfèrent se focaliser sur les fragilités personnelles des salariés. Ajoutons à cela que des directions peuvent être " encouragées " à enterrer cette question face à certaines représentations syndicales un peu rapides, qui ne considèrent le travail que comme une source d'aliénation.
Les syndicalistes doivent au contraire se saisir du problème, instruire la question de la qualité du travail avec les salariés eux-mêmes. C'est là que réside l'enjeu de toute négociation sur les risques psychosociaux. Ce qui n'est pas une mince affaire, tant la fonction de représentant du personnel peut se révéler éloignée du terrain.
Qu'est-ce que le " travail bien fait " ? Quelles sont les tâches qui ne peuvent plus être réalisées et qui sont pourtant essentielles pour faire du bon boulot ? Qu'est-il possible de ne pas faire ou de faire autrement, dès lors que c'est discuté et validé collectivement ? Autant de questions qui se mettent en forme au fil des échanges avec les salariés et auxquelles ces derniers apporteront leurs réponses.
Un apprentissage
Cela implique de la part des représentants du personnel une certaine posture face aux salariés et la construction d'une relation de confiance avec eux, sans laquelle ils n'accepteront pas de discuter et d'exposer leur point de vue. Cela nécessite donc aussi un apprentissage de la part des syndicalistes, celui de l'analyse du travail et de la pratique de l'élaboration collective avec les salariés, experts de leur propre travail. Reste à imaginer des espaces de discussion permettant cette élaboration collective.
Analyser dans le détail ce qui fait obstacle au " travail bien fait ", comprendre les dilemmes auxquels sont confrontés les salariés permet d'en montrer tous les effets sur la santé, la production, la performance, le client ou le patient et de dépasser une posture de simple dénonciation. Cela donne des arguments pour discuter les choix d'organisation de la direction, y compris les objectifs et critères d'évaluation.
C'est à cette condition que les représentants du personnel pourront déjouer le piège de la mesure, notamment face aux sempiternels questionnaires. Si 10, 15 ou 30 % des salariés se disent stressés, comment interpréter ces chiffres ? Côté direction des ressources humaines, la tentation peut parfois être forte de considérer qu'il y en a 90, 85 ou 70 % qui vont très bien ! C'est quand même la majorité : circulez, il n'y a rien à voir ! Les syndicalistes se retrouveront dans une impasse pour négocier. Sauf s'ils sont en mesure de poser le débat autrement, en restituant les résultats de leurs investigations qualitatives auprès des salariés. Ils pourront alors dire que ces pourcentages ne peuvent pas se lire comme ceux d'un sondage, que derrière ces 10 ou 30 %, il y a des personnes sur lesquelles pèsent de sérieuses contraintes pouvant porter atteinte à leur santé. Et que si les autres tiennent pour le moment, ils peuvent aussi être en difficulté.
Laurence Théry, directrice adjointe du travail
Santé & Travail n° 074 - avril 2011
Article issu du dossier Stress en entreprise : la prévention fait fausse route