Un quart des salariés juge insatisfaisant l'équilibre entre leur vie familiale et professionnelle.
Le travail déborde de plus en plus sur la vie privée et familiale des Français, qui aimeraient que les entreprises et même l'Etat en fassent davantage pour les aider à tout concilier. Selon un sondage publié mardi 3 avril par l'Observatoire de la parentalité en entreprise (OPE) et l'Union nationale des associations familiales, la quasi-totalité des personnes interrogées estime que la conciliation entre vie familiale et professionnelle est un sujet de préoccupation important, et sept sur dix qu'il devrait être prioritaire pour les candidats (sondage effectué du 14 au 23 février auprès d'un échantillon de 1 001 salariés ayant des enfants). L'enjeu est pourtant seulement effleuré dans les programmes, et uniquement lorsqu'il s'agit de l'emploi des femmes. Or, selon l'OPE, « les hommes ont également de fortes attentes ».
Paradoxalement, 76 % des personnes interrogées dans ce baromètre estiment qu'elles parviennent à concilier vie familiale et professionnelle de façon « satisfaisante ». « Mais c'est au prix de beaucoup d'efforts, relève Jérôme Ballarin, président de l'OPE. Cela repose sur leur capacité personnelle à s'organiser et le système D. » Car, dans le même temps, l'insatisfaction est grande vis-à-vis des employeurs : les trois quarts des sondés estiment qu'ils « ne font pas beaucoup de choses » pour les aider. Un quart juge que l'équilibre entre leur vie familiale et leur vie professionnelle n'est pas satisfaisant. Le chiffre monte à 32 % chez les 25-34 ans.
Une enquête publiée en mars par le cabinet Technologia, spécialisé dans la prévention des risques professionnels, fait le même constat. « Un débordement extrêmement important du travail sur la sphère privée est en train de se produire, en particulier chez les cadres, professions intellectuelles supérieures et professions intermédiaires, explique Jean-Claude Delgenes, le fondateur de Technologia. On en avait l'intuition. Cette fois nous avons des chiffres. »
L'enquête a été effectuée auprès de 1 366 salariés. Près de 40 % d'entre eux travaillent ou ont déjà travaillé le soir ou la nuit, sur leur temps personnel. Les ordinateurs portables, tablettes et smartphones jouent un rôle considérable. « Depuis deux ans, mon mari a un employeur qui pense qu'il doit être disponible 24 heures sur 24. Du coup, j'ai le sentiment qu'il n'est jamais avec nous, témoigne une sondée. Même quand on se couche, il est souvent appelé. J'en ai tellement marre que je lui ai dit que je voulais faire chambre à part s'il ne coupait pas son téléphone. »
Si 29 % des cadres, professions intellectuelles supérieures et professions intermédiaires gèrent mieux leur vie privée grâce à ces outils, 40 % disent avoir du mal à « décrocher » du travail, et 25 % se sentent obligés de se rendre disponibles à n'importe quel moment. La proportion monte à 35 % chez les moins de 30 ans. « La pression sur les subordonnés est aujourd'hui très forte et très intériorisée », affirme M. Delgenes. « On peut se demander si, avec le temps, les jeunes se distancieront de la même façon que leurs aînés », relèvent les auteurs.
Ces derniers réfutent cependant une opposition simpliste entre « travail néfaste et vie privée épanouissante ». Pour beaucoup de personnes interrogées, le travail permet l'épanouissement. Plus le métier exercé correspond à une vocation, plus l'acceptation des contraintes est grande.
Seuls les ouvriers et employés semblent préservés, leur travail étant par nature moins « exportable ». Ce qui ne les empêche pas d'être touchés par la fatigue et ses répercussions sur la vie sexuelle. Quelque 72 % des personnes interrogées par Technologia déclarent que la fatigue accumulée dans la journée les a déjà empêchées de faire l'amour le soir.
Comment faire face ? Des solutions pratiques sont réclamées : éviter les réunions tôt le matin et tard le soir, avoir un meilleur accès au temps partiel choisi, « sans impact négatif sur l'évolution professionnelle », développer le télétravail. « Ce dernier doit être bien organisé et faire l'objet d'un accord d'entreprise », observe M. Delgenes. Le fondateur de Technologia suggère d'autres pistes, comme « respecter les congés » et « réguler l'utilisation des nouvelles technologies ». Certaines entreprises bloquent l'arrivée des courriels après 21 heures, pour les distribuer seulement le lendemain matin.
Autre solution : faire des enfants ? Plus elle est nombreuse, plus la famille protège la sphère privée. « Le travail est une valeur forte dans notre société, observe M. Delgenes. Les enfants sont la seule priorité assez légitime pour s'y opposer. » Le changement se joue aussi dans les têtes. Selon M. Ballarin, la France est victime de la culture du « présentéisme ». « Quand on est encore au bureau à 19 heures, chez nous, c'est perçu comme un gage de motivation, analyse-t-il. Dans les pays anglo-saxons, c'est une preuve d'inefficacité. »
Gaëlle Dupont
Article paru dans l'édition du Monde du 07.04.12
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